La culture du printemps est encore bien ancrée dans les coutumes. On mesure sa venue à l’aune de ses indices souriants. Un premier bourgeon, un chant d’oiseau typique, une primevère cachée sous une feuille morte. Il est la saison de la naissance comme de la renaissance. Si pour beaucoup le printemps suscite la joie, il reste une saison harassante pour d’autres. La pénibilité des travaux de la terre se fait sentir à cette époque de l’année. Malgré tout, tout n’est pas rose au printemps.
Il y a quelques décennies encore, nos vies allaient au rythme des saisons. Il fallait qu’elles « se fassent » et le plus souvent elles se faisaient. C’était la normalité. Pour Beauvoir, « Dans le jardin, les saisons inscrivent en légumes comestibles leur cycle rassurant ; » Bien sûr quelques incartades dans les cycles se produisaient d’où la réflexion récurrente ‘’Il n’y a plus de saisons’’.
Depuis plusieurs décennies le rythme de nos vies étaient cadencées par le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. Nous avions l’habitude des hivers enneigés, des printemps frais et secs, des étés chauds mais non caniculaires. L’organisation du travail et des vacances s’articulait autour de cet ensemble.
Nous sommes maintenant passés à des anomalies thermiques récurrentes. La permanence de températures plus élevées tout comme l’absence de neige génèrent un grand inconfort dans la vie quotidienne impliquant une réorganisation subite et pas souvent rationnelle. La vie et l’économie touristique s’organisent les yeux rivés sur les prévisions météorologiques.
Chacun est persuadé que les saisons ne se déroulent pas conformément à ce qu’elles devraient être. Les médias par leur emphase rajoutent de l’inquiétude à l’attente de la météo à venir. Comme si nous ne savions pas que l’hiver est froid par nature. Les commentaires hyperboliques ont mené à l’invention des températures ressenties. Rien n’est plus stupide mais ça fonctionne et on se gargarise avec les degrés rajoutés aux chiffres lus. Oui c’est vrai le printemps a changé, il s’insère physiquement dans une partie de l’hiver pour se laisser gagner en son milieu par les chaleurs de l’été. On en vient à ne plus s’apercevoir de ses premiers signes caractéristiques, (les premiers bourgeons, premiers chants d’oiseaux, etc.). Si le printemps s’installe définitivement dans l’hiver, ressentirons-nous nous même, plus tôt, cette montée de sève qui déclenche chez tous les êtres vivants une vie bouillonnante ?
Oui le printemps se raccourcit en même temps que se raccourcissent les éphémères voluptés printanières comme le renouveau de la nature. Nos printemps vont en prendre un coup dans la mesure où ils sont notre construction culturelle et un assemblage de nos souvenirs.
L’étroitesse du printemps qui s’incruste dans l’hiver et se fait phagocyter par l’été caniculaire génère des inquiétudes logiques. Les hivers doux ne sont plus une cause de mortalité chez les personnes âgées. Les étés ont aujourd’hui pris la relève. Ils sont maintenant de par leurs températures élevées, des périodes anxiogènes et mortelles. Les catastrophes qu’ils impliquent (sécheresse, incendies, tornades, etc.) font qu’on les aborde avec grande crainte.
Il ne reste plus aux populations qu’à réorganiser leur vie en repensant l’architecture de l’habitat et en chamboulant le calendrier des jours de travail, vacances, et des plans d’assolement. Enfin tout ce qui a fait que la terre ne nous accueille plus comme elle a pu le faire au cours des siècles passés.
Le printemps n’a plus tout à fait les couleurs de Botticelli ni les notes de Vivaldi et dans les cercles infernaux de Dante, s’est glissé l’été.
DS
Comments by Dominique Sidrac