Les systèmes économiques sont dans leur ensemble indifférents aux biens ou au mal qu’ils peuvent générer dans la mesure où les objectifs se résument à la productivité et aux bénéfices d’une nation. Le PIB quantifie la production de richesse de cette nation. Pour autant, même excellent, le chiffre de cet indicateur n’est pas gage de vertuosité dans la redistribution des richesse produites. Ainsi les États-Unis, qui sont un des pays les plus riches si on se réfère au PIB par habitant, ont le taux de pauvreté le plus élevé. D’où l’idée de la part des politiques de mettre en scène ‘’ le pouvoir d’achat ’’ qui est la capacité pour chaque citoyen de pouvoir acquérir les biens nécessaires à sa vie quotidienne. De prime abord, la mesure parait juste. Cependant elle n’interroge pas sur le bonheur qu’ont les gens de vivre là où ils sont.

Le terme ‘’bonheur’’ est peut-être excessif parce qu’on rentre dans l’intime des êtres. Toutefois, les scandinaves n’hésitent pas à utiliser la notion de « bonheur national brut » plutôt que celle, jugée trop étroite, de produit intérieur brut (PIB) pour guider les politiques des pays.

Ils répondent à la question ; Qu’est-ce donc qui rend heureux ? Sur le plan individuel : une bonne santé physique et mentale, des relations amoureuses, familiales et amicales gratifiantes, un travail stable, rémunérateur et satisfaisant. Sur le plan collectif : un revenu national décent partagé de façon égalitaire, l’espérance d’une longue vie en santé, la capacité de faire des choix de vie libres, la générosité, l’absence de corruption perçue dans les entreprises et l’État.

Le sociologue Nicolas Framont propose lui ‘’ un pouvoir de vivre ‘’ plutôt qu’un bonheur parfait. Il constate que la focalisation sur la notion de pouvoir d’achat est ce qui a permis au gouvernement actuel de prendre de nombreuses mesures anti-sécurité sociale, au nom de l’augmentation de cette notion. (Désert médical, absence de services administratifs dans les communes, gares SNCF désertées, etc.).

Sa réflexion est judicieuse en effet si les centres-villes sont aussi attractifs, c’est que l’on y trouve un certain nombre de services dont on ne dispose pas ailleurs. On pense à la culture mais aussi à la santé. A l’inverse avec un même salaire, on peut acheter plus de choses quand on vit dans la Creuse que lorsque l’on vit à Paris ou à Lyon.

Une part de plus en plus importante de la population française « ne s’en sort pas », est incapable de subvenir à ses besoins fondamentaux (chauffage, eau, alimentation, etc.). La notion du « pouvoir d’achat », qui indifférencie les biens essentiels et non essentiels, est inopérante pour appréhender ce problème et selon Nechtschein, « Se polariser sur le pouvoir d’achat, c’est rester au ras du sol, c’est céder à l’idéologie dominante de la loi du marché, c’est oublier que la vie ne se réduit pas au pouvoir d’acheter. » Le pouvoir de vivre inviterait à sortir de cette logique qui réduit l’existence à l’alternance du travail et de la consommation, laquelle alimente in fine un productivisme effréné (et destructeur pour la planète).

Alors, pourquoi ne pas troquer le pouvoir d’achat pour le pouvoir de vivre ou comme le scandinaves, le bonheur national brut (le Hygge) ? La notion reste encore confidentielle. Mais elle est sans doute appelée à occuper une place de plus en plus visible dans l’espace public.

DS