Pour nous les anciens, l’expérience que nous avons accumulée tout au long de notre vie nous invite à réfléchir sur la maxime ‘’ les conseilleurs ne sont pas les payeurs’’. D’autant que si nous reprenons un peu la doctrine kantienne qui va suivre, nous sommes confortés dans notre pensées. Conçus sur le même modèle, nous devons selon Kant, être capable de penser par nous-mêmes et de là, de fonder nos propres jugements pour s’affranchir de toutes les formes d’irrationalisme qui ‘’ Asservissent les consciences’’.  Nous sommes tous capables de penser de manière indépendante sans avoir besoin de nous référer à autrui. Le philosophe en fait la condition de l’émancipation par le savoir, car c’est en pensant par nous-mêmes que nous cessons d’être soumis à l’autorité des autres et de leurs jugements.

Seulement voilà, penser par soi-même nécessite un effort intellectuel indéniable et il est tellement plus confortable et reposant aujourd’hui de prendre pour argent comptant tout ce que les médias crachent à longueur de journée. On s’installe dans une espèce de cocon de la non réflexion et surtout ce qui est le plus pervers avec des informations contradictoires. On a tendance à retenir alors ce qui nous arrange. Quelques fois certaines ‘’fac news’’ nous font tellement plaisir qu’on les prend pour argent comptant. On frôle alors le négationnisme.

Dans ‘’Qu’est-ce que les Lumières ?’’ (1784), Kant souligne l’importance de l’indépendance intellectuelle de chacun : « Sapere aude, (aie le courage de te servir de ta propre intelligence !) ». Il fustige ceux qui refusent d’accéder à cette maturité intellectuelle et « restent volontiers mineurs toute leur vie », par « paresse » et « lâcheté ».

Attention, derrière l’apparente bienveillance du conseil, il peut y avoir la volonté de dominer, d’asservir. Penser par soi-même, c’est donc un exercice qui nous mène vers l’indépendance et la liberté de conscience.

Ne pas être dogmatique de ses pensées est aussi essentiel.

Est-ce que s’affranchir d’un rapport de domination par lequel des maîtres à penser dictent à la masse ce que celle-ci doit penser revient à refuser tout dialogue avec autrui ? Certainement pas, selon Kant. On ne pense jamais totalement seul, car une fois que notre jugement est fait, nous le confrontons à celui des autres et il donne l’exemple suivant : » si un homme voit en plein jour sur sa table une lumière allumée que n’aperçoit cependant pas une autre personne également bien placée pour cela. Il y a matière à réflexion afin de trouver le pourquoi du comment ».

Il est nécessaire de faire confiance à sa propre intelligence pour former ses idées, il faut ensuite les partager avec celles des autres pour s’assurer qu’elles ne sont pas en contradiction avec la raison universelle, qu’elles sont justes et vraies du point de vue de celle-ci. Nous ne devons pas laisser les autres penser à notre place, mais dialoguer avec eux pour ne pas se tromper. Demander conseil à autrui sur ses propres jugements peut donc permettre de vérifier qu’ils sont pertinents.

Le bon conseil est celui qui valide notre idée de départ.

De ce principe, Kant tire dans la Critique de la faculté de juger (1790) les trois maximes du sens commun : « 1) Penser par soi-même ; 2) Penser en se mettant à la place de tout autre ; 3) Toujours penser en accord avec soi-même. »

On ne peut donc pas se passer des conseils d’autrui… au moins pour vérifier que nous avions déjà raison par nous-mêmes !

DS