Trop d’argent, trop de biens créent l’ennui. De là les paradis artificiels pour les uns, la violence pour les autres. Non que l’ennui soit, bien sûr, l’unique cause de la violence. Mais il est souvent un déclencheur, voire un catalyseur, y compris chez les individus apparemment débonnaires. Parmi les maux de la vie, il y en a peu qui soient aussi pénibles que l’ennui. L’homme se jette, en somme, à corps perdu dans des activités compulsives pour échapper à « l’insupportable ennui ». (The Anatomy of Human Destructiveness, 1973, trad. fr. T. Carlier, 1975). « La violence et la destructivité sont le plus souvent le résultat d’un ennui insuffisamment compensé ». Selon Fromm, « La destruction apparaît, face à l’ennui, comme un moindre mal : elle est encore une manière de faire quelque chose, préférable au pur néant. »

L’ennui est une source de violence qui peut aller jusqu’à la sociopathie meurtrière.  L’ennuyé « ne s’intéresse à rien et n’a aucun contact avec qui que ce soit ». Privé de tout lien véritable, il ne trouve pas sa place, et est incapable de satisfaire son désir d’exister – qui est toujours désir d’exister aux yeux des autres. « Tout le laisse froid. Il est affectivement figé, ne ressent ni joie, ni chagrin ni douleur. Il n’éprouve rien. Le monde est gris, le ciel n’est pas bleu ; l’ennuyé n’a aucun appétit pour la vie et préfèrerait souvent être mort plutôt que vivant. » Cette indifférence est un trait caractéristique d’une partie des meurtriers en série.

Poutine est un homme qui s’est démené pour arriver à la dictature. Aujourd’hui, sa fortune est probablement plus importante que celle de Bill Gates et consorts. Que peut-il désirer d’autres pour se distraire que la conquête de territoires qui redonneraient à la Russie sa grandeur d’antan, celle de la Grande Catherine II. Sous son règne, la Russie (empire russe) a connu une grande expansion de son territoire européen vers l’Ouest et le Sud et cela à la faveur du partage de la Pologne et d’une série de victoires contre l’Empire ottoman. C’est ce que Poutine s’est probablement mis en tête. Quand on est puissant et qu’on s’emmerde on a toujours des velléités de conquêtes ou de destructions. Selon son humeur, Staline avait d’autres distractions, celles par exemple de raser des villages entiers pourtant russes. Mais ceci est un moindre mal quand on sait que Poutine peut aujourd’hui, rayer toute vie sur terre.

Comme elle l’a fait par le passé en 1938 avec les Sudètes, l’Europe à grands renforts de gesticulations laissera filer l’Ukraine vers les mâchoires russes. Poutine se sera distrait pendant quelques semaines, il aura tué des milliers de personnes mais aussi le temps de sa frénésie, son ennui. Cette période euphorique durera le temps que son ennui le regagne, mais après à qui le tour ? Il sera alors temps pour l’Europe de ressortir ce vieux slogan de 1939 « Qui veut mourir pour Danzig ? » et une fois de plus se perdre dans la peur.

Le monde n’est pas sorti d’affaire.

DS