Les grèves amènent un mécontentement immédiat des populations. Cependant lorsqu’elles se prolongent, elles perdent de leur efficacité dans la mesure où la vie s’organise et s’habitue aux manques. Le mécontentement se dilue dans le temps sauf pour un secteur particulier qui produit les effets contraires à ceux issus des autres catégories professionnelles. Celui du ramassage des ordures ménagères. Le mouvement devient le crime de lèse-majesté dans la mesure où il nous renvoie à une mémoire collective pluriséculaire dans laquelle sont ancrées nos heures sombres moyenâgeuses. L’histoire nous a révélés les vies de misère passées dans des environnements hostiles de crasse, de saletés conduisant régulièrement aux épidémies de peste, de choléra ou de typhus. Aujourd’hui dans les pays occidentaux la saleté est presque devenue l’anachronisme du siècle. L’hygiène du corps a pris une ampleur phénoménale. Comment est-il possible de supporter des odeurs nauséabondes, la vue d’immondices, les risques sanitaires causés par des rues jonchées de déchets, alors que le soin du corps est porté à son paroxysme. Tout converge vers le bienêtre, la santé. On sait qu’une partie non négligeable de la population prend quotidiennement deux douches. Les odeurs corporelles bien que naturelles sont bannies des lieux fréquentés par le public. Tout est parfumé, WC, lessives, savons, ainsi que tout ce qui fait notre environnement privé immédiat. La saleté n’est donc plus supportable.

La grève des éboueurs nous met face à notre société d’hyperconsommation et de notre bienêtre corporel qui rejette par des artifices tout ce que notre corps organique produit de désagréments. Elle montre du doigt ce que nous produisons mais surtout ce que nous rejetons. Le gaspillage n’est plus un mot de posture il est bien devant nous, concret, il nous gifle. C’est le miroir d’une humanité sans conscience, sans concession. Il nous est révélé brutalement comme par miracle parce qu’il faut être réaliste, sans la grève des éboueurs, le gaspillage n’a rien de concret, il reste une théorie évoquée par ceux qui le pratique. En fait il est inéluctable puisque ces déchets sont immédiatement mis hors de vue de ceux qui les produisent. Comment donc prendre conscience de ce que nous rejetons d’autant que la revalorisation des déchets est devenue un business qui n’encourage pas la population à la modération dans sa consommation.

La grève des éboueurs est la seule grève véritablement dérangeante au point que les préfets réquisitionnent très rapidement les services compétents. Dans les grandes villes comme Paris, Marseille les inconvénients sont majeurs. Les odeurs nauséabondes font des rues des lieux invivables et l’encombrement des rues rend la circulation dangereuse. Probablement le pire de tout réside dans la prolifération de rats, généralement précurseurs d’épidémies. Quelle image renverrait la capitale française du XXI ième siècle en cas d’épidémie de choléra ou encore de peste ? L’esthétique est une chose mais les risques pour la santé publique en sont une autre. De plus, l’économie touristique par résonnance, en prend un sacré coup.

Si la grève des éboueurs n’est peut-être pas le seul levier efficace pour aboutir à des revendications, saurons-nous l’utiliser comme indicateur pour réviser notre système de vie et devenir plus raisonnable dans notre consommation ?

DS